Correspondence du
Maréchal Davout
15 Septembre, 1806 - 14 Octobre, 1806 (170 - 179)
170 - Au Général Friant
Paris, 15 Septembre 1806
J'arrive de Saint-Cloud, mon cher Général ; Sa
Majesté m'a accueilli avec sa bonté ordinaire. Elle m'a
parlé de partir sous peu de jours pour vous rejoindre. Cette nouvelle
est pour vous seul et mon chef d'état-major. Tout est à la guerre
ici; une partie de la garde est partie ce matin. Cependant beaucoup de
personnes croient que ces préparatifs n'auront aucun autre
résultat que de déterminer la paix, et par conséquent de
rendre ridicule l'armement des Prussiens. Mais dans tous les cas, nous sommes
en mesure; ma dernière inspection des troupes m'a donné cette
conviction. Il y a un article bien important cependant dont nous manquons
totalement, c'est celui des marmites, bidons, etc. Je me suis assuré ici
que l'on n'avait aucun moyen de nous en faire délivrer. Il ne faut donc
compter que sur nous. Aussi je vous invite à la réception de ma
lettre à prévenir les 'généraux de division de
recommander aux colonels de s'assurer que dans le cas d'un ordre de
départ, chaque capitaine se procurera de gré à gré
des habitants de ces marmites faites en tôle battue dont on fait usage en
Allemagne. Cet objet n'est point très-coûteux et donnera au soldat
la facilité de faire sa soupe. Il faut que chaque compagnie s'en procure
de manière à en avoir un ou deux de plus. Il vaut mieux à
cet égard être riche, puisqu'il ne s'en perd que trop. Cet ordre
devra être promptement exécuté et est pour toutes les armes
du 3e corps.
Il est probable que lorsque vous recevrez cette lettre, je
serai en route pour vous rejoindre.
Votre femme se porte bien et est depuis quelques jours
à Pontoise, où elle a été chercher sa mère.
Ma femme a été sur prise de mon arrivée. Elle fait mille
amitiés à son excellent beau-frère. Je pars à
l'instant pour Savigny y faire la connaissance de ma petite.
171. -AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Bamberg, 1er octobre 1806.
Monseigneur, je viens d'arriver à Bamberg pour me
concerter avec le prince de Ponte-Corvo, qui m'a communiqué les ordres
de Votre Altesse Sérénissime le 29, me faisant connaître
que l'intention de l'Empereur est que je détache ma cavalerie sur
Cronach, que je fasse occuper cette place et que je cherche sur-le-champ
à la faire mettre en bon état, et enfin que le maréchal
Bernadotte me fera connaitre les ordres que vous avez donnés sur cet
objet : la différence de date et le mouvement que fait le prince de
Ponte-Corvo devraient me faire supposer qu'il y a de nouvelles dispositions
dont je n'ai point connaissance. Quoi qu'il en soit, ainsi que j'ai eu
l'honneur de vous en rendre compte ce matin, ma cavalerie n'étant
arrivée près de Forcheim que ce soir, je ne puis la porter demain
qu'entre Bamberg et Staffelstein; j'aurai donc le temps de recevoir les ordres
de Votre Altesse sur les mouvements ultérieurs de cette cavalerie;
cependant je dirigerai toujours le 78 de hussards sur Cronach,
conformément aux premiers ordres de Votre Altesse
Sérénissime.
La première division est arrivée et est
établie entre Bamberg et Forcheim, sa tête à une lieue de
cette première ville, où demain elle appuiera sa gauche, sa
droite se prolongeant du côté de Staffelstein; demain 2, tout le
reste du 3e corps sera entre Bamberg et Forcheim, Votre
Altesse Sérénissime peut compter là-dessus.
J'ai envoyé un chef de bataillon à Cronach,
à la réception de votre lettre du 27.
172. - AU MAJOR GÉNÉRAL DE
LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Bamberg, 2 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse des diverses positions occupées aujourd'hui par le 30 corps
d'armée.
La 1er division est établie en
colonne entre Staffelstein exclusivement et Hallstadt; Bamberg sera
occupé par un régiment de cette division.
La 2e division placée
également en colonne entre Bamberg et Hirscheid inclusivement.
La 3e division dans le même
ordre entre Hirscheid et Forcheim. La réserve de cavalerie
légère entre Schesliz, Hallstadt et Bamberg.
Le matériel du parc de réserve près
Forcheim, et le personnel ainsi que les chevaux cantonnés dans les
villages situés à la rive gauche de la Wisen.
J'ai l'honneur de rappeler à Votre Altesse que
l'objet de ma lettre d'hier était de savoir si son intention
était toujours que j'envoie ma cavalerie légère à
Cronach; je désire ardemment recevoir les derniers ordres de Votre
Altesse pour me tirer d'embarras à cet égard.
P. S. - Le 7e de hussards continue
son mouvement sur Cronach, conformément aux premiers ordres de Votre
Altesse.
173. -AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Bamberg, 5 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur d'assurer à Votre Altesse
que le 30 corps d'armée est cantonné de manière à
pouvoir être réuni à Bamberg dans cinq heures et en mesure
de se mettre en marche au premier ordre que Votre Altesse pourrait me faire
passer.
174. - AU MAJOR GÉNÉRAL DE
LA GRANDE ARMEE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Bamberg, 5 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse du résultat de la revue du corps d'armée que j'ai
passée, en vertu de l'ordre du jour du 3 octobre.
En général, toutes les troupes ont mis
à profit les moments de repos, pour se préparer à entrer
en campagne, et je dois ajouter que la sollicitude des généraux
et des officiers a eu les meilleurs résultats.
L'armement est partout dans un très-bon état.
Sur tout le corps d'armée il ne manquait pas au delà de quinze
à vingt baïonnettes, qui ont été remplacées
peu d'heures après.
L'habillement a été reçu et
délivré par tous les régiments; les troupes sont dans la
tenue où elles eussent été, si elles avaient passé
la revue de Sa Majesté l'Empereur à Paris.
La chaussure remplit les intentions de Sa Majesté;
chaque soldat a deux paires de souliers dans le sac et une aux pieds; quelques
régiments en ont même une quatrième paire de réserve
qu'ils font suivre; quelques-uns davantage; tous quelques paires de rechange.
Quant aux ustensiles de campement, cet objet avait
été entièrement oublié; mais depuis la marche, on
s'en est essentiellement occupé ; toute la 1er
division peut être considérée comme ayant ce qui lui est
nécessaire.
La 2e est bien moins fournie, mais
sous vingt-quatre heures elle sera au niveau. La 30 est la plus
arriérée; cependant il n'y a que ce reproche à lui faire,
car sa tenue est excellente.
Il ne manque rien à l'artillerie; les troupes sont
pourvues de 50 cartouches par homme et de 3 pierres à feu.
Indépendamment de l'approvisionnement de 1,200,000
cartouches contenues dans les caissons, il en restera 200,000 provenant du
dernier envoi de 300,000 que j'avais demandées pour compléter les
50 par homme. Je ferai déposer à Cronach les 200,000 restantes,
attendu que je n'ai aucun moyen de transport pour les faire suivre, et que ce
serait les exposer à être entièrement avariées que
de les faire transporter sur des voitures du pays.
175 - AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
6 octobre 1806,
Monseigneur, les rapports sur les Prussiens sont encore
très-obscurs; il en résulte seulement qu'ils sont en marche et en
grand mouvement.
Hier 7, tout me porte à croire qu'il en est
arrivé vers les quatre heures du soir à Cobourg, d'où ils
ne laissent sortir ni entrer personne. Jusqu'à ce moment, il n'avait
paru à Cobourg que 30 ou 36 hussards qui y étaient depuis cinq
jours.
On y assurait que partie de l'armée prussienne avait
dû arriver le même jour à Saalfeld et avait poussé
une avantgarde à Grafenthal.
Suivant les rapports, les grandes forces prussiennes
devaient se réunir sur Iéna et Saalfeld.
A Cobourg, ils faisaient courir que le roi de Prusse devait
se rendre aujourd'hui à Bamberg, pour avoir une conférence avec
notre souverain.
J'ai envoyé un parti à Culenbach, pour avoir
des nouvelles du maréchal Soult : il n'est pas encore de retour.
Toute l'armée sera réunie aujourd'hui, de
très-bonne heure, en avant de Cronach, conformément aux ordres de
Votre Altesse.
176.- AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Posneck, 11 octobre 1806, à deux heures
du matin.
Monseigneur, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous en rendre
compte verbalement par l'un de mes aides de camp, j'ai été
obligé de faire arrêter la tête de la colonne d'infanterie
à Posneck, tant pour attendre des nouvelles de la cavalerie du
général Milhaud que j'avais fait porter en avant, que pour donner
le temps à l'infanterie de se rallier, la marche, aussi longue que
rapide, ayant extrêmement allongé ses colonnes.
Après les premiers rapports du général
Milhaud, j'ai fait porter un premier régiment en avant de Posneck,
à l'embranchement des routes de Neustadt et de Hummelsham.; le reste de
la division Dupont et la division Morand seront rendus ici à la pointe
du jour.
Des partis de cavalerie ont été envoyés
sur Neustadt et Saalfeld.
Une reconnaissance du 13e régiment de chasseurs
à cheval, dirigée par Saalfeld, a poussé sur sa droite un
petit détachement qui est tombé sur un poste d'infanterie et de
cavalerie prussienne, et a enlevé un hussard de Wolfrad et deux
fusiliers du 1er bataillon de chasseurs prussien.
Ces prisonniers rapportent qu'il y avait à l'affaire
de Saalfeld donnée par les Français 7 bataillons saxons et 2
escadrons prussiens; le prince Louis commandait en personne, ces troupes
venaient de Neustadt - ils ne savent rien de la grande armée, si ce
n'est qu'on débite qu'elle marche en avant.
Il arrive en ce moment trois prisonniers du régiment
de Schimmelfening hussards ramassés par nos reconnaissances;
d'après ce qu'ils disent et ce que l'on débite, il paraît
que le maréchal Lannes a complétement battu l'ennemi.
Je reçois la dépêche de Votre Altesse,
datée de huit heures et demie. Je vais me mettre en marche pour
rejoindre de ma personne le 3e corps; je transmets au
général Dupont et au général Milhaud les ordres qui
les concernent pour leur marche de demain.
Je fais partir pour le maréchal Lannes la
dépêche de Votre Altesse à son adresse.
177. -AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Naumbourg, 12 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse que ma cavalerie légère est entrée à
Naumbourg à trois heures et demie; l'avant-garde y est arrivée
à huit heures du soir'. La journée ayant été
extrêmement forte et ayant occasionné beaucoup de traîneurs,
j'ai fait arrêter la ire division à une lieue ou deux de
Naumbourg, la 2e un peu plus loin et la 3e à environ trois lieues.
La division de dragons du général Sahuc a
été placée à hauteur de la 2e division; demain à deux heures du matin toute
l'armée sera réunie ici.
Le général Vialannes s'est emparé de
plusieurs voitures de pain et de bagages, mais une prise plus importante est
celle de douze pontons en cuivre parfaitement attelés; cette
dernière prise a été faite entre Naumbourg et Freybourg;
je les fais conserver, ainsi que les attelages, pour les tenir à votre
disposition, ayant promis au 1er régiment de
chasseurs de faire payer les chevaux conformément aux règlements.
«
On annonce ici de grands magasins de fourrage et de grains;
j'en ferai faire l'inventaire, que j'aurai l'honneur d'adresser à Votre
Altesse.
Des reconnaissances ont été envoyées du
côté d'Iéna, mais elles ne sont point encore
rentrées. On entend quelques coups de canon de ce côté; je
n'ai point encore de nouvelles du prince de Ponte-Corvo.
Tous les rapports des déserteurs, des prisonniers et
des gens du pays se réunissent à annoncer que l'armée
prussienne se trouve à Erfurt, Weimar et environs. Il est certain que le
Roi est arrivé hier à Weimar; on assure qu'il n'y a point de
troupes entre Leipzig et Naumbourg.
J'ai fait saisir à la poste tous les paquets; je les
adresse à Votre Altesse; peut-être y trouvera-t-elle quelque chose
d'intéressant. On annonce toujours beaucoup de jactance chez les
officiers prussiens.
Une lettre sans signature, adressée au prince de
Saxe-Cobourg, compare la défaite de Saalfeld à celle des
Autrichiens devant Ulm, pour le découragement qu'elle a répandu
dans l'armée. Il a passé hier et aujourd'hui par cette ville
environ 200 déserteurs.
J'envoie un parti porter cette dépêche à
Votre Altesse; demain matin, dès que j'aurai obtenu de nouveaux
renseignements, j'aurai l'honneur de les adresser à Votre Altesse.
P. S. - Il me paraît constant que les troupes
prussiennes se réunissent du côté de Weimar. Cette campagne
promet d'être encore plus miraculeuse que celles d'Ulm et de Marengo.
178 - AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Naumbourg, 13 octobre 18061.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse que dès hier ma cavalerie légère poussa des
reconnaissances sur Iéna; après avoir passé le pont, elles
rencontrèrent l'ennemi à peu de distance, sur la rive gauche de
la Saale.
La division de dragons aux ordres du général
Sahuc poussa également des partis sur ce point et rencontra aussi
l'ennemi.
La première de ces reconnaissances a eu lieu hier,
à six heures du soir; la seconde à neuf du soir; aujourd'hui, une
nouvelle reconnaissance faite à dix heures du matin prouverait que
l'ennemi occupe toujours Iéna et qu'il rallie ses forces à
Eckartsberg. Je vous envoie la copie de cette reconnaissance; les rapports la
confirment. On a entendu le canon hier soir depuis quatre heures jusqu'à
cinq et demie. Aujourd'hui, on l'entend; il va assez fort sur notre gauche
depuis une heure après midi : il y a de la fusillade.
J'envoie des partis sur Eckartsberg par Freybourg, que
j'occupe en force, et par Kosen.
Toute l'armée est à Naumbourg. La division de
dragons occupe Pforté et Flemmingen.
179. - A L'EMPEREUR ET ROI.
Au bivouac d'Eckartsberg, 14 octobre 1806.
Sire, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Majesté qu'en débouchant de Kosen, j'ai trouvé à un
quart de lieue l'ennemi qui était en marche pour s'emparer
lui-même de ce débouché. La bataille s'est engagée
tout de suite; elle a été très-sanglante et
disputée. Le roi de Prusse, le due de Brunswick et le maréchal de
Mollendorf et plus de 60,000 hommes ont disputé la victoire à
votre 3e corps; elle nous est restée, ainsi que
presque toute l'artillerie ennemie : le nombre des prisonniers n'est pas
très-considérable, le peu de cavalerie que j'avais, qui a fort
bien servi du reste, n'ayant pas été suffisant pour pouvoir
profiter des succès de l'infanterie. Le grand-duc de Berg avait
retiré la veille la division des dragons Saline.
Votre Majesté a perdu beaucoup de braves, parmi
lesquels je citerai le général Debilly, les colonels Verges,
Higonnet, Viala, Nicolas et plusieurs autres blessés. Plusieurs
régiments ont perdu la plupart de leurs officiers. Le nombre des
blessés est très-considérable.
Le duc de Brunswick a été grièvement
blessé à la tête; on regarde sa blessure comme
mortelle.
Des généraux prussiens ont été
blessés. Parmi ces derniers, on compte le prince Auguste, oncle du Roi.
Les deux frères du Roi se trouvaient à cette
bataille; les gardes à cheval et à pied ont beaucoup de morts et
de blessés.
Les cartouches manquent. Les corps étant
très-affaiblis, j'ai pris position vers les sept heures du soir. Cette
nuit, on remplacera les cartouches, on mettra les armes en état, et
demain nous serons prêts à exécuter les ordres de Votre
Majesté.
Je dois citer avec le plus grand éloge la conduite
des généraux Friant, Gudin et Morand. Le général
Daultanne s'est fait distinguer de toute l'armée.
Ces jours-ci, j'aurai l'honneur d'adresser à Votre
Majesté les détails nécessaires pour lui faire
connaître la brillante conduite de tous ses officiers et soldats.
L'ennemi paraît s'être retiré du
côté de Weimar. |